heure-bleue

Depuis le début de cette guerre, je pense chaque jour à mon père.

Mon père, enfermé en Pologne, avait été "délivré" par les Russes.
Après sa "libération" il leur voua une haine farouche...
Je connais peu de choses de son passé.
J'ignorais même qu'il parlait allemand.
Lorsque je l'ai entendu le parler, je lui ai dit "mais tu parles allemand ?"
Il m'a répondu "Il faut toujours comprendre son ennemi."
Bien qu'il mit deux ans à revenir en France, il n'eut pas le temps d'apprendre le Russe...

Pendant la Guerre Froide, alors que l'épisode des missiles de Cuba faisait craindre une troisième guerre mondiale, mon père nous disait régulièrement "Je préfère vous tuer de mes propres mains que vous laisser aux mains des Russes !!! ".

Je ne suis pas une experte en géopolitique, mais Dieu que la guerre est moche !
Je crois aujourd'hui que mon père le savait mieux que bien des spécialistes qui dissertent sans fin pendant que les gens meurent...

Sophie, qui n'a pas de blog, me demande pourquoi je ne parle jamais de mon père.

Je n'en sais rien.
Il a remplacé ma mère pendant un temps.
Il m'a conduite chez ma grand'mère chaque matin en partant travailler.
Je ne me rappelle même pas sa compagne.
Elle est morte en couches pendant que ma mère vivait sa vie ailleurs.
Je me rappelle qu'il me suffisait de citer un auteur pour qu'il revienne avec plusieurs livres.
Je suis restée sa fille préférée.
Mon père était du genre silencieux.
Je ne peux pas dire que nous ayons eu de grandes conversations.
Il ne parlait pas.
Il n'a même pas raconté sa libération par les Russes...
On sait seulement qu'il a juste décidé de nous tuer si les Russes arrivaient en France.
Lorsqu'il a arrêté de travailler, il est retourné se réfugier dans les livres.

Il est mort alors que je venais d'arriver en Israël.
Il n'avait jamais vu de médecin de sa vie.
Le seul qui est venu à la maison, il l'a traité de nazi.

Mon père était un personnage singulier, un personnage de roman.

Hier, nous sommes allés voir la petite sœur.
La petite sœur est seule avec son père.
La petite sœur fait du cinéma lorsqu'elle nous aperçoit.
Un cinéma qui dure cinq minutes environ...

Elle était dans "sa prison" et, pas folle la guêpe, a senti venir la délivrance.
Elle a même accepté de dire "Papy" et quelque chose qui ressemblait à "Mamie".

Nous l'avons fait marcher.
Nous lui avons donné son "quatre heures".
Son père a voulu la sortir avant l'orage.
C'est terrible ! L'Ours est le seul à avoir le droit l'habiller !
Le Goût, pourtant habitué avec Merveille, n'a même pas le droit de la changer !
Quant à moi, je n'ai même pas le droit de lui enfiler un petit pull...

Il a déjà du mal à accepter que Merveille s'émancipe.
Je sens que ça va être un énorme souci avec la petite soeur.