24/10/2022
Devoir de Lakevio du Goût N°140
J’ai été un poil effrayé par cette toile d’Edward Hopper.
Mais vous ?
Qu’en direz-vous lundi ?
Il la poussa légèrement pour se tourner dans le lit.
Elle soupira, comme toujours.
Depuis soixante-dix ans c’était la même chose.
Il la poussait légèrement, il se tournait, souvent vers elle.
Elle se tournait, souvent vers lui et soupirait.
Il tendait le bras, elle lui prenait la main et ils s’endormaient.
Ces derniers temps, l’un et l’autre se tournaient plus difficilement.
Leurs soupirs traduisaient plus l’essoufflement que l’attente d’un mouvement de tendresse.
En plus ils avaient mal partout.
Malgré tout, ils étaient bien dans cette maison.
Ils y avaient consacré tant de temps, d’attention et de moyens.
Même si elle n’aimait pas trop cet accès trop brusque à la mer et avait toujours eu peur d’une chute d’un de leurs petits-enfants au cours de leurs chahuts.
Ce matin, il s’est levé le premier et attendit devant le lit qu’elle se lève à son tour.
Elle avait les yeux ouverts, a dit « aïe ! » et a commencé a se tourner et sortir ses jambes du lit.
Il tenta de l’aider, pesta parce que son dos ne lui permettait plus de la soutenir assez fermement pour qu’elle puisse se lever.
Il se dirigèrent cahin-caha vers la cuisine.
Il tenait son pyjama d’une main et elle s’accrochait à son autre bras pour l’accompagner.
Comme d’habitude, d’ici une heure la dame « AVQ » allait arriver.
« Aide de Vie Quotidienne » disait la dame de l’association, tu parles !
Elle ne les aidait pas à « avoir une vie quotidienne ».
Même, leur fierté les obligeait à faire eux-mêmes leur toilette et s’habiller.
Tout plutôt qu’être réduits à des choses qu’on manie avec plus ou moins de brutalité et qu’on regarde avec un vague mépris !
Elle le regarda, il la regarda.
Ils dirent « C’est aujourd’hui qu’on va venir nous séparer, hein ? »
Ils le savaient bien que ça finirait par arriver, leurs enfants les harcelaient à pour les pousser à aller « dans cette maison de retraite où vous serez si bien ! »
« Vous aurez chacun votre chambre ! »
Évidemment, ils seraient tellement mieux dans ce mouroir où on leur mettrait des couches pour éviter de se lever la nuit.
Ils se dirent tout ça à demi-mot, se levèrent sans même finir leur bol de café et, avant que « Miss AVQ » n’arrive, ils allèrent à la porte qui leur donnait un accès à la mer.
Ils l’ouvrirent, se prirent la main, se firent un bisou léger de leurs lèvres sèches et firent leur dernier pas dans la vie.
« Miss AVQ » sonna, haussa les épaules, sortit son smartphone et appela les pompiers…
11:06 | Lien permanent | Commentaires (22)
Commentaires
Douloureux, mais avoir le courage de "partir" avant de passer par ces mouroirs, j'en "rêve" !
Écrit par : Fabie | 24/10/2022
Tu me fais pleurer... quelle triste réalité et quel courage pour ce couple...
Écrit par : Praline | 24/10/2022
J'espère bien que tu me tiendras la main et me fera un bisou sur les lèvres.
Écrit par : le-gout-des-autres | 24/10/2022
Finalement, tout ce bleu n'inspire pas que les vacances ou alors des vacances à perpette...Triste, mais O combien réel ce qui attend les vieux couples. Après 70 ans de vie commune, comment accepter d'être séparé ? J'ai souvent posé la question à mon mari "tu ne voudrais pas qu'on parte ensemble ?" "ça va pas qu'il me répond, parle pour toi ?"...Oui, comme dit Praline, pas facile d'avoir ce courage-là..Finalement, on ne dirige pas grand-chose de nos vies quand tout se déglingue, comme un bateau qui prend l'eau, la vieillesse est un naufrage et quoi de mieux que l'océan pour être englouti..
Écrit par : julie | 24/10/2022
Ah oui en effet, ce n'est pas gai ..
Écrit par : Ambre | 24/10/2022
je me demande si c'est une mort douce, la noyade, j'ai l'impression que l'effet doit être assez violent... court, mais violent.
Écrit par : Adrienne | 24/10/2022
Douloureux de lire cela ! peu auraient ce courage immédiat d'en finir avant d'avoir vécu la dernière page de leur vie au sein d'une EHPAD ... à méditer. Vous résumez bien ce que vivent nos aînés, qui nous concernent tous !
Écrit par : MORIAUX | 24/10/2022
AVQ : se lit aussi : à vécu…
et donc les voilà partis…
Écrit par : alainx | 24/10/2022
En fin de compte ils ont réussi leur mort !
Je les comprends...
Écrit par : Gwen | 24/10/2022
Il est glaçant et douloureux ton devoir, mais il est la triste réalité de nombreux humains. Peu ont le courage de sauter le pas si je puis dire, nombreux sont ceux qui se laissent choir et subissent le triste sort qui leur est réservé.
Je les comprends ces deux là, moi aussi. Je ne pense pas que je pourrais avoir leur courage, mais au fond je pense qu'ils ont raison.
Comme dit plus haut, c'est un sujet grave qui nous concerne tous.
Écrit par : delia | 24/10/2022
ce serait mon choix aussi
Écrit par : Ang/col | 24/10/2022
Ton devoir me touche énormément…... il aborde un sujet qui me tracasse beaucoup. Pouvoir choisir notre fin de vie …. un sujet sur lequel nos dirigeants sont particulièrement frileux. Avoir le courage d'en finir de cette façon avant la déchéance totale ….l'aurais je ?
Écrit par : Colette | 24/10/2022
Tellement touchant ton devoir ! Merci !
Un choix librement assumé mais aurais je le courage de faire le même ?
Écrit par : Colette | 24/10/2022
Effectivement, ce que vous inspire cette peinture est loin d'être réjouissant, mais donne matière à réflexion.
Bonne journée et oublions les idées noires.
Écrit par : Christiane | 25/10/2022
oh pinaise tu y est allée fort! C'est tellement triste que je me dis que ton article est autobiographique...car ici personne ne vous voit l'un sans l'autre...vous avez passez toute votre vie ensemble et vous ferez pareil , mais peut être pas dans la mer...
allez, encore quelques années...nous n'aurons pas tous la chance d'avoir un Titi qui a pris soin de son père jusqu'au bout en lui fermant les yeux....bisous!!!!!!!!!!!!!!!!!
Écrit par : charlotte 17 | 25/10/2022
Très trusté et touchant ton récit … j’ai l’impression que tu es venue nous voir vivre chez nous … pour sa première partie en tout cas … nous avons déjà chacun notre chambre, mais pas encore d’aide à domicile, juste les infirmières 3fois par jour, et pas du tout l’intention d’aller dans un mouroir, plutôt partir de notre propre gré, mais pas de noyade, la mer n’est qu’à 5 km mais suffisamment loin pour se raviser en route !
Bonne journee .
Écrit par : Francelyne | 25/10/2022
Pardon: triste … faute de frappe !
Écrit par : Francelyne | 25/10/2022
Cela m'agace fortement de toujours entendre parler de mouroir pour nommer les EHPAD... Il faudra que je prenne mon courage à deux mains pour écrire un texte relatant mon expérience personnelle, avec ma maman et mon travail pendant vingt ans dans un EHPAD !
Écrit par : Praline | 25/10/2022
Il en existe certainement ses corrects, malheureusement je ne pense pas qu'ils soient majoritaires!
Ma belle fille qui vient de terminer ses études d'infirmière, a fait plusieurs stages dans des établissements nommés EHPAD, et sa conclusion a été : Jamais ça pour mes parents...
Écrit par : Fabie | 25/10/2022
Alors Fabie, s'il en existe des corrects, ne généralisons donc pas et arrêtons de parler de "mouroirs".
Écrit par : Praline | 25/10/2022
Je ne le trouve pas triste ce texte.Il est empreint de tendresse, de sérénité et d'une pointe d'humour. Ils me plaisent bien, ces deux petits vieux.
Les coachs en développement personnel nous amènent à assumer pleinement nos choix de vie, et on ne peut pas choisir sa façon de mourir ? Je trouve ça assez contradictoire. mais il est vrai que les ehpad sont une telle source de profits pour les actionnaires...
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Écrit par : Célestine | 25/10/2022
Aller en maison de retraite, cela peut faire peur, je l'avoue. Mais ces deux tourtereaux ont choisi leur destin. On fait ce que l'on peut avec l'âge qui avance. Bonne soirée.
Écrit par : elisabeth | 27/10/2022
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